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Brève biographie ...
Maurice Rocher naît en 1918 à Evron dans la Mayenne, près de Laval, berceau de l’art naïf et patrie d’Alfred Jarry. Dessinant depuis l’âge de 12 ans, élève de l’École des Arts Appliqués du Mans, il parfait son apprentissage aux Beaux-Arts de Paris (atelier Sabattier) et aux Ateliers d’Art Sacré de Maurice Denis et Georges Desvallières où il enseigne quelque temps ainsi qu’au Centre d’Art Sacré (1944-1952). En 1952, il reçoit le Prix de la Jeune Peinture pour une Maternité.
Il peint alors dans une figuration permekienne, au modelé elliptique hérité de l’art nègre, des paysans et des toiles religieuses, avant de passer en 1965 aux rouges et aux roses informels. Figures fondues dans la matière, tiraillées par l’angoisse ou l’envie, ses personnages préfigurent alors ses églises déstructurées et anthropomorphes qu’il peindra tout au long de sa vie. Puis la satire l’emporte avec ses Notables : académiciens, anciens combattants ou « salauds sartriens" (juges et dictateurs) en aplats aux teintes soutenues. En 1980 il entame une série de « Scènes » - Noces, Réceptions, Présentations - sous forme d’une comédie humaine qui caricature des groupes - puis une liaison passionnée lui fait peindre des femmes et des hommes combatifs et fusionnels, ses terrifiantes Mangeuses d’Hommes. Malade, il se tourne enfin vers ses Suppliciés où la figure s’efface sur un fond lie-de-vin-noir. Vers la fin, il amasse ses restes de peinture pour former des amas de pâte qu’il remodèle en visages-matière proches de Fautrier.
Ses gouaches empruntent à Manet (ses petites femmes) et à Goya qui l’a toujours inspiré.
Rare expressionniste français, il a exposé avec Lindström, Christoforou, Subira-Puig, Pelayo, E.L Gillet.
Contemporain de Bacon il est proche de lui par l’idée de chair tuméfiée et d’êtres monstrueux, tout en restant plus sensuel.
Son tempérament solitaire et entier lui interdit les compromissions et lui crée un certain nombre d’ennemis. On dit de lui qu’on ne peut pas le côtoyer.
En 1995, suite à l’Alzheimer de sa femme qu’il n’avait jamais quittée, il se laisse mourir.
... un peu plus
Un petit garçon naît en 1918 à Evron, fils d’un chef de gare (employé du Réseau de l’État de l'époque) et d’une jeune fille dont la mère était issue d’une nombreuse famille (21 enfants) de petits agriculteurs, les Chauveau. Un grand-oncle, légataire d’une personne riche, était peintre portraitiste à Laval où il habitait une grande maison avec un atelier. C’est lui qui offre sa première boite de couleurs au petit Maurice qui la lui a demandée. La maman, très jeune, confie régulièrement son fils à la grand-mère qui tient un café place du Champs de Foire-aux-Chevaux. Celle ci lit les gazettes plutôt que de surveiller l’enfant qui s’installe régulièrement sous le comptoir, à observer les gens… Son œil se forme. Les jours de marchés, il voit les grandes gaillardes du coin. Vues d’en-dessous, sont-ce ces femmes terrorisantes, en train de boire et de rire auprès des maquignons, qu’il appellera plus tard les " mangeuses d’homme " ? Est-ce cela qui va forger sa théorie que les femmes sont plus puissantes, plus décidées, plus fortes que les mâles ? (Il y a dans la famille la légende d’une aïeule héroïque: s’étant fait arracher le sein par un taureau, elle tient la bougie pendant que le chirurgien la recoud). Il n’en démordra jamais. Il en peindra beaucoup. Dans la Noce (1966) la mariée est beaucoup plus grande que le marié - comme son père, Aurélien, plus petit en taille que sa femme…
Maurice Rocher parle de son adolescence...
(extrait de Maurice Rocher, l'Expressionniste, un film de Franck Saint Cast, 2008)
Plus tard, il participe au renouveau de l’église. L’héroïsme, c’est d’être croyant. Il veut se faire dominicain. Il passe des heures dans la basilique d’Evron (il aime le calme et la fraîcheur des lieux) en particulier devant la Pietà polychrome du XVème siècle. Mais l’appel de la vie est plus fort. Au lieu d’avoir des maîtresses, des amies, des modèles, il se marie à 27 ans. Il faut fonder une famille, avoir des enfants, disent les curés. Il en aura six. Mais comment les nourrir ? Cela, l’église ne le dit pas. Il est doué… Il a fréquenté l’Académie des Arts Appliqués du Mans, appris l’art de la fresque aux Beaux-Arts, suivi l’enseignement de Georges Desvallières et Maurice Denis aux Ateliers d’Art Sacré, y a enseigné… Il veut être un artiste chrétien. On lui demande des vitraux ? Pourquoi pas ? La reconstruction de la Normandie commence, il travaille avec les architectes des Monuments Historiques et les Commissions d’Art Sacré et acquiert une notoriété grâce à ses compositions solides et ses couleurs magnifiques. Il sait " servir l’architecture ", être en retrait dans le gothique ou innover dans le béton en des figurations hardies, des-murs vitraux ou des verrières abstraites, poétiques, proches des réalisations de Fernand Léger ...
(Voir les réalisations de vitraux et dalles de verre)
En 1965, c’est le Concile. Furieux qu’on brade les rites et les traditions, qu’on remplace des rituels anciens aux significations secrètes par des refrains anodins, il souffre, sa foi chancelle. Son fils aîné meurt. Son romantisme l’a attiré dans l’aventure folle du mariage, son sens de l’honneur l’empêche de tout quitter comme l'a fait Gauguin … Sa famille, il en crèvera. Tant pis, on peint.
D’autant qu’il est seul. Il amasse et amasse des toiles que personne ne vient voir dans l’atelier, ni acheteur, ni galeriste, ni bien sûr critique… Il doute. Qu’importe ! En 1970, ses enfants élevés, il se lance dans l’aventure. Il peint jour et nuit. “Le soir, j’ai hâte d’être au matin pour peindre” écrit-il dans son journal ou « je préfère mes toiles à mes filles ». Enfin Jean Pollak l’expose à la galerie Ariel, il trouve des pairs en Lindström, Christoforou, Gillet mais son mauvais caractère fait le reste et il les quitte. Exposé chez Protée, Vitoux et Nouvellet, il ne sera jamais montré à la FIAC.
Car sa prolixité dérange. Présenté à tort comme peintre chrétien à cause de ses premières toiles, il use maintenant d’une figuration libre et, dans ses toiles comme dans sa vie, il est sarcastique et violent. Il se revendique expressionniste, un style que le public n’aime guère, ça rappelle l’Allemagne. De fait, l’expressionnisme n’a jamais été un art français. Et la mode de l’abstrait commence.
Il habite Versailles, une ville de bourgeois. Il se moque. Trop de notables qui se rendent aux rétrospectives de Van Gogh quand ils ne l’auraient même pas visité dans leur rue. “6000 personnes par jour à l’exposition Van Gogh - les mêmes qui le laisseraient crever aujourd’hui s’ils le rencontraient dans sa solitude”… note-t-il, narquois.
Le vieux peintre rôde (comme Van Gogh) dans la ville, il se promène, chapeau sur la tête, cheveux longs. Il a toujours froid, il grelotte, il entasse sur lui pardessus, écharpes, gilets. On reconnaît sa silhouette. On dirait Ubu-roi. Mais est-ce pour autant qu’on lui parle ?
La bulle spéculative sur la peinture arrive. Il a tant peint. Il vend ! Il expose ! Des musées achètent ses toiles ! Il rencontre aussi une autre femme.
Un peu plus libre, il peint des Couples, des gouaches qui montrent une sensualité heureuse… même si, de nouveau, l’angoisse tapie le guette. Le souvenir de son fils qu’il est allé reconnaître sur son lit de noyé, le père Popieluszko dont il a vu la photo à la morgue, Che Guevara dont on ne sait pourquoi il s’entiche, le père Camillo Torrès (dont l’assistante assassinée était mayennaise) l’inspirent… Commence un thème qu’il exploitera longtemps, les Suppliciés. La vie a-t-elle toujours une valeur ? Il peint l’angoisse de l’homme mort, anéanti - le martyr, le combattant, le dissident. L’Église était comme une mère. Elle ne veille plus sur ses enfants. Et eux ne veulent plus d’elle. Dieu se tait… Pour tout le monde ! Et puis, comme il l’écrit :”Si Dieu existe, j’aurai des comptes à lui demander”.
Il meurt, ou plutôt se laisse mourir, le 12 juillet 1995 à 76 ans considérant que son œuvre est achevée.
Il est alors persuadé qu'elle restera abandonnée, que ses filles n’en prendront pas soin ! Il part désespéré quant au devenir de sa peinture, si importante par son volume et sa force mais relativement si peu connue malgré la reconnaissance de ses pairs, les peintres.